Hommage à Philippe HOUSSET (1962-2018), botaniste, phytosociologue et écologue normand

le 10 avr 2019
Philippe Housset

Hommage à Philippe HOUSSET (1962-2018), botaniste, phytosociologue et écologue normand.

Le Conseil scientifique du 26 mars 2019 a été l’occasion pour le Conservatoire botanique national de Bailleul de rendre un dernier hommage à Philippe HOUSSET décédé le 24 juin 2018. Il fut le responsable de l’antenne du Conservatoire à Rouen de 2001 à 2016, puis intégra notre Conseil scientifique en 2017.


"Notre collègue et ami Philippe Housset est décédé le 24 juin 2018 à l’âge de 55 ans.

C’est un exercice difficile pour nous de lui rendre hommage, parce que cela fait plus de 22 ans qu’il faisait partie de nos vies, en étant selon les circonstances notre collègue, notre ami, notre chef, notre maître de stage, notre mentor, notre confident, notre président… Nous manquons de distanciation pour ne pas nous laisser submergés par l’émotion et faire le tri dans nos souvenirs, mais, l’homme qu’il a été et l’héritage précieux qu’il nous laisse nous y oblige.

De son parcours…

Philippe est né en 1962 à Laval, en Mayenne. Il a débuté sa vie professionnelle en tant que technicien de maintenance au service d’une multinationale d’informatique. « Il passait le plumeau dans les ordinateurs » comme dirait Anne Housset sa femme. Son père étant vendeur de télévision et de matériel informatique, ce fût peut-être une évidence et un avenir assuré pour lui de faire des études d’électronique. Mais heureusement pour nous, très rapidement l’appel de la nature l’a titillé ! Dans le cadre de ses fonctions d’informaticien, Philippe est amené à parcourir la France, de bureaux, en centrales nucléaires, en usines de voitures pour assurer la maintenance et l’entretien des ordinateurs. Mais sa véritable motivation, c’est de pouvoir conclure ses interventions, par des escapades naturalistes et en profiter pour cocher de nouvelles observations aux quatre coins de la France. Cependant, même quand on parle de Philippe,  « no body’s perfect » ! Ce n’était pas encore les observations de flore qui le motivait mais celles des oiseaux. Il ne lâchait pas ses jumelles et les cassettes de chant d’oiseaux tournaient en boucle sur tous ses trajets. Avec la même détermination que nous lui connaissons pour la flore, ce fût un très bon ornithologue.

Peu satisfait par son activité professionnelle, Philippe entame dès que l’occasion se présente une reconversion vers la biodiversité, et ne faisant jamais les choses à moitié, il reprend ses études depuis le début, en première année de DEUG sciences de la vie puis en Maitrise des Sciences et Technique de l’Environnement à l’université de Rouen. C’est au contact de ses professeurs (Pierre Noël Frileux, Didier Alard…) qu’il commence à vraiment se tourner vers la botanique. Il conclue ses études par le DEA de Génie écologique d’Orsay qu’il obtient en 1995, occasion de côtoyer de nouveaux grands professeurs et personnages de la botanique : Jean Guittet, Georges Roux… avec qui il restera toujours en contact. Il effectue son stage de fin d’études sur les espèces menacées de la flore du Perches, et fait alors la connaissance des botanistes normands (Michel Provost, Philippe Lévêque …). Dès sa sortie des études, en 1996, il est recruté en tant que coordinateur scientifique au Conservatoire des Sites Naturels de Haute-Normandie. Poste qu’il quittera cinq ans plus tard en 2001 pour monter l’antenne de Haute-Normandie du Conservatoire botanique national de Bailleul dont il devient le premier responsable. Il contribuera fortement à son développement et à son installation au Jardin des plantes de Rouen en 2002, et y portera de grands projets comme l’étude des Terrasses alluviales de la Seine normande ou l’Atlas de la flore sauvage de Haute-Normandie, tous deux parus en 2015. Excellent botaniste, phytosociologue et écologue, il apporte ses compétences au sein du CS du CEN de Normandie en tant que président à partir de 2002, puis au sein du CSRPN de Haute-Normandie puis de Normandie, où il occupera les postes de membre, référent flore puis vice-président. Ses activités, mais également ses loisirs étaient tournés vers la flore. Dès 1996 ses week-ends sont occupés à réaliser le premier proto-atlas de Haute-Normandie. J’ai souvenir d’une grande carte IGN, de l’Eure et de la Seine-Maritime affichée dans le salon de son ami Philippe Lévêque, manuellement quadrillée des mailles UTM 1/1, avec une épingle à tête colorée piquée sur toutes les mailles prospectées. Ou bien encore des week-ends « contre-expertise », consistant à regrouper le plus grand nombre de naturalistes pour compléter les inventaires réalisés par des bureaux d’études (bons ou mauvais) sur des projets d’aménagement routiers normands. Sa contribution à ces combats a mis quelques beaux bâtons dans les roues de plusieurs projets, au profit de la préservation de tourbières, de pelouses calcicoles, de vergers…

Plus récemment, depuis 2012, c’était également un fidèle des sessions extraordinaires de la SBNF, il a d’ailleurs proposé et organisé en 2016 la session dans la vallée de la Roya (Alpes-Maritimes) qui laissera un souvenir impérissable à l’ensemble des participants. Ses vacances étaient également consacrées aux prospections jusqu’à ses dernières avec Jean-Marc Vallet dans le sud-est de la France. Son plus grand périple à l’étranger a été la Namibie, notamment pour aller sur les traces de la Welwitschia mirabilis, plante endémique des déserts côtiers Namibiens et Angolais, seule représentante de son genre et considérée comme l’ancêtre encore vivant des plantes hermaphrodites. Impossible pour tous ceux qui l’ont côtoyé à cette époque d’oublier le terme panchronique.

 

… à ce qu’il nous laisse en héritage.

Avec sa force de conviction tranquille, Philippe a grandement contribué à la préservation de la nature en Haute-Normandie. Dès son arrivée au Conservatoire d’Espaces Naturels de Haute-Normandie, il a souhaité que les travaux déjà engagés sur la restauration des pelouses calcicoles de la Vallée de la Seine prennent une plus grande ampleur et a initié l’idée d’un projet LIFE. Après plusieurs péripétie et faux départ, ce projet débute en 1999 et constitue le premier programme de cette envergure de restauration des milieux et des espèces des coteaux calcicoles normands, avec plus de 2000 ha concernés pour un budget de plus de 2 millions de francs. Les pelouses et les éboulis lui doivent beaucoup, mais le Conservatoire d’Espaces Naturels également : en termes de reconnaissance et d’institutionnalisation (recrutement du premier directeur, premières acquisitions foncières d’envergures (120 ha), présentation du projet en France et en Europe, ce qui fût l’occasion de bonnes rigolades grâce à sa maitrise mémorable de l’anglais).

Il a également initié les premiers travaux sur les messicoles, sujet difficile il y a 10 ans, auprès des politiques et acteurs locaux, mais également auprès des naturalistes, qui pouvaient regarder ce groupe d’espèces de haut, pas assez « naturelles ». Le département de l’Eure a été le premier à répondre à l’appel de Philippe pour venir en aide à ce groupe d’espèces ayant subi le plus fort taux de disparition au cours du siècle dernier. L’Eure a été le premier département français à lancer un Plan départemental d’actions de conservation des messicoles en 2006, avant celui lancé en 2012 au niveau national, et celui-ci perdure et prend chaque année de l’envergure.

Philippe s’est également penché sur le sort de milieux jusqu’alors complètement ignorés dans la région, à tel point qu’aucune espèce protégée n’y avait été retenues : les terrasses alluviales de la Seine. Il s’agit de nouveau d’un travail colossal, mené entre 2003 et 2015, de cartographie des milieux, des espèces et des enjeux. Ces travaux ont fait date, au grand dam d’un grand nombre d’exploitants de granulats. A tel point que la Région Haute-Normandie est la seule à avoir une trame milieu silicicoles dans son SRCE, ce qui garantit en parti leur préservation en attendant une liste d’espèces et d’habitats protégés plus adaptés au territoire. La liste des espèces protégées régionales fait partie des projets qu’il aurait aimé faire aboutir, c’est à nous désormais de reprendre le flambeau.

Son projet d’atlas, initié au cours des années 1990, a pris de l’ampleur dès son arrivée à l’antenne de Rouen du CBN, avec la mise en place d’inventaires systématiques sur chacune des 1 420 communes de Haute-Normandie, et un renforcement de l’équipe. Ceci a permis d’harmoniser la connaissance sur la région, jusqu’alors très concentrée sur la vallée de la Seine. L’Atlas constitue aujourd’hui d’un ouvrage de référence, très apprécié et utilisé par l’ensemble des botanistes régionaux.

Philippe a contribué à produire un très grand nombre de données floristiques : plus de 100 000 sont enregistrées dans Digitale 2. Il est par ailleurs à l’origine d’une vingtaine de découvertes (ou redécouvertes) pour la région (seul ou accompagné), comme Centaurea calcitrapa, Prospero autumnalis, Briza minor, Odontites jaubertianus … Il savait dénicher les plantes les plus rares, les plus menues, les plus modestes, mais il posait en fait le même regard bienveillant et admiratif sur toutes les plantes, même les plus communes. Cette passion pour la botanique, Philippe l’a transmise aux nombreuses personnes qui sont passées entre ses mains ; stagiaires, collègues, nous sommes nombreux aujourd’hui, devenus des professionnels de la botanique ou de simple bénévoles, à être inspirés par son combat, son humanité et sa démarche.

Ses armes favorites étaient la loupe de terrain, son panier en osier à pique-nique option verre à pied intégré (les bons petits plats et le vin sont sacrés !) et son appareil photo. En véritable amoureux de la vie et des jolies choses, il nourrissait une grande passion pour la photographie. Nous ne pouvons peut-être pas aller jusqu’à dire que nous conservons autant de clichés de lui entrain de photographier, quelques soient le temps, la position ou le sujet, que de photo dont il est l’auteur, mais presque …

Ceux qui l’on rencontré se souviendront d’un homme aux grandes qualités humaines : humilité, bienveillance, tolérance, enthousiasme, courage qu’il a eu très grand ces dernières années. Son caractère rieur et son sourire malicieux nous enchantaient tous."

Carine Douville et Julien Buchet